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Dante - Divine Comédie - Introduction (extrait) par Pier Angelo Fiorentino (1862)
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La divine comédie de Dante Alighieri (1265-1321) | gallica.bnf.fr
Vers le milieu du mois de mai de l'an de grâce 1265, un enfant fut présenté à l'église de Saint-Jean-Baptiste à Florence et y reçut sur les fonts de baptême les noms de Durante Alighieri. Ce fut un beau jour pour l'Italie. Dieu toucha au front l'enfant prédestiné et l'enfant devenu homme opéra des prodiges…
Cependant, l'homme qui avait fait à sa patrie ces brillantes promesses que Dieu a tenues, mourait loin d'elle pauvre et proscrit. Son poème, publié par lambeaux, avait été lu avidement et chanté par le peuple. Le livre ne devait porter que ce titre, qui contenait en deux lignes toute la vie de l'auteur : « Ci commence la Comédie de Dante Alighieri, Florentin par sa naissance mais non point par ses mœurs . »
Le Paradis était inachevé mais il y manquait les treize derniers chants, les plus sublimes peut-être. Jacques, un des enfants du poète, animé par une intention plus pieuse que modeste, s'était mis tout simplement à achever le poème de son père. Épuisé de fatigue, de découragement et de douleur, il venait de s'endormir au milieu de son œuvre, lorsque Dante lui apparut, le front couronné d'une brillante auréole, et après quelques doux reproches montra du doigt à son fils une vieille armoire où des parchemins étaient restés enfouis. Ceci se passait vers la fin de l'année 1332 et la touchante apparition racontée par Boccace ne trouva pas de sceptiques dans ces temps de poésie splendide et de ferventes croyances.
Le 9 août 1373, la république Florentine reconnaissant ses torts et son ingratitude nommait un professeur pour lire et commenter dans l'église de Saint-Etienne les vers de son grand et malheureux citoyen et le premier Toscan auquel était réservé l'honneur de commencer cette éclatante réparation nationale fut Boccace lui-même, un des trois écrivains les plus éminents du Moyen âge.
A dater de ce jour aucune apothéose ne manqua au poète. On imprima partout la Comédie de l'illustre, du vénérable, du divin Dante. Enfin, la postérité a accepté et consacré le titre de « Divine Comédie ». L'étude ou l'abandon du poème de Dante sont devenus un indice de progrès ou de décadence dans l'art. Tous les hommes de quelque valeur ont apporté une pierre à l'édifice de la gloire dantesque, toutes les hautes intelligences se sont inclinées devant ce grand génie et ont médité sur son œuvre.
Malheureusement, il n'y a pas de culte sans idolâtrie ni de croyance sans fanatisme. Et si l'on voulait suivre les aberrations de tous ceux qui se sont cru le droit d'écrire sur Dante, on se trouverait bientôt perdu dans une forêt plus sombre, plus sauvage et plus inextricable que celle où le poète s'est égaré au début de son mystérieux voyage. Malgré tous les obstacles dont on a obstrué la route en croyant la déblayer, le moment est propice ou il ne le sera jamais pour comprendre enfin la divine trilogie telle que son auteur l'a conçue.
Des travaux savants, utiles sur le Moyen Âge italien, une connaissance plus approfondie de l'histoire, une appréciation plus large et plus logique des principes et des règles de l'art, tout semble concourir à faciliter l'intelligence de ce livre prodigieux, le plus magnifique peut-être que les hommes possèdent après la Bible qui est le livre de Dieu.
L'analyse du poème offre encore des difficultés nombreuses et ardues, il est vrai mais ces difficultés cessent d'être insurmontables dès que l'attention n'est pas détournée sans cesse par les écarts des commentateurs. Peut-être serait-il plus simple d'apprendre par cœur d'un bout à l'autre les vers de la Divine Comédie comme Dante avait appris l'Enéide et de supprimer tout-à-fait les commentaires. Mieux vaut se hasarder sans guide que de suivre un aveugle.
Toute épopée ancienne ou moderne, pour être complète, doit embrasser l'homme entier dans sa double nature spirituelle et terrestre, lui révéler son origine et son but, lui faire comprendre à travers les émotions d'un grand drame d'où il vient et où il va.
Ainsi, le poème épique se compose de deux parties étroitement liées entre elles dont l'une répond aux besoins matériels de la chair, l'autre aux vagues aspirations de l'esprit.
La première se développe dans le monde des sens, l’autre dans les régions invisibles. Le poème antique non plus n'a pu échapper à cette règle absolue et nécessaire car, de tout temps, l'instinct de l'immortalité a crié au fond de la conscience humaine. De tout temps, l'imagination a peuplé l'espace d'êtres mystérieux et surnaturels. Seulement, comme dans les croyances du paganisme la destinée de l'homme s'accomplissait dans le temps et que l'idée d'une autre vie était enveloppée d'épais nuages, l'action principale se passait sur la terre et la Divinité intervenait dans les affaires de ce monde soit par une coopération immédiate, et alors les dieux descendaient parmi les hommes comme dans l'Iliade, soit par des conseils et par des enseignements et alors l'homme descendait aux enfers comme dans l'Odyssée. C'est sur cette partie spirituelle et surhumaine, indispensable au poème épique, que les rhéteurs ont bâti leur absurde théorie du merveilleux à laquelle nous devons une si grande quantité de productions bâtardes dont les auteurs ont cru sans doute se conformer aux préceptes d'Aristote.
Dante a compris le premier et le dernier peut-être parmi les poètes des temps modernes que l'art devait être conséquent à la religion. Par un magnifique élan de génie, il a déplacé l'action du poème et l'a transportée tout-à-coup dans l'autre vie.
Les passions, les luttes, les joies, les douleurs, les espérances les intérêts de ce monde viennent se rattacher au sujet principal épisodiquement et comme par reflet; car, dans le dogme et dans l'art d'un chrétien, qu'est-ce que la terre et quelques années de travail ici-bas, au prix d'un bonheur immense et d'une vie éternelle ? Ainsi se déroula dans la pensée du poète ce plan si simple et si vaste à la fois auquel il n'a tracé d'autres limites que l'infini. Entre la création du premier homme et les ténèbres du jugement il y a l'humanité; entre la Genèse et l'Apocalypse il y avait un livre à faire. Ce livre, c'est la Divine Comédie.
Le poème dantesque est un et triple à l'image de Dieu. Il se divise en trois parties : L'Enfer, le Purgatoire, le Paradis : Le châtiment, l'expiation, la récompense.
A ces trois parties correspondent trois principaux personnages ; car il faut remarquer que les nombres trois et neuf se reproduisent dans leur signification mystique à chaque page du poème. L'Enfer a neuf cercles, le Purgatoire a neuf degrés, le Paradis a neuf sphères. Les trois personnages sont : Dante, Virgile, Béatrix: L'homme, la raison, la révélation.
Contrairement aux poètes qui l'ont précédé, Dante a dû mettre en scène le moi, pour nous initier aux sentiments, aux émotions, aux tressaillements les plus intimes de la nature humaine. Homère s'efface complètement dès la première invocation adressée à la muse antique et semble vouloir persuader aux hommes que son poème est tombé de l'Olympe.
Dante, au contraire, s'élève par degrés du fond de notre poussière jusqu'à la contemplation du triomphe éternel. Il prend pour guide sa maîtresse adorée, sa chère et divine Béatrix, ange miséricordieux et protecteur qui après lui avoir montré sur la terre un rayon de la gloire céleste, s'était envolée au sein de son créateur. Béatrix, ainsi que le poète la définit, c'est la plus belle manifestation de la puissance divine, c'est la lumière placée par Dieu entre le vrai et l'intelligence.
Mais pourquoi, dira-t-on, assigner à Virgile le troisième rôle dans un poème éminemment religieux? pourquoi choisir un poète païen de préférence aux autres sages de l'antiquité, aux prophètes et aux saints de l'Ancien-Testament ? Virgile répond pour Dante à la grande idée de l'unité politique et morale qui forme la base principale de la Divine Comédie. Il représente la croyance antique dans son dogme le plus idéal et la forme de gouvernement rêvée par les Gibelins dans sa plus large application. Virgile avait prophétisé dans une de ses églogues la venue du Fils de Dieu, on le croyait du moins à cette époque; voilà pour la religion. Virgile était le poète de l'Empire Romain; voilà pour la politique. En outre, il n'a pas suivi les enseignements d'une seule école, les idées d'un seul maître, les principes d'une seule secte. Il a recueille toutes les traditions religieuses et philosophiques, toutes les légendes populaires de l'antiquité.
Platonicien et spiritualiste avant tout, il n'a pas dédaigné les mystères d'Éleusis ni les mythes de Pythagore. Son enfer se rapproche le plus des idées chrétiennes. Il a suivi pas à pas la sibylle dont les livres prophétiques étaient acceptés et débattus par les Pères. Enfin Virgile introduit dans le poème pour marquer la dernière limite à laquelle la raison puisse atteindre, en dehors de la grâce, a été choisi comme le représentant d'une doctrine renouvelée de nos jours, doctrine qui admet la perfectibilité du genre humain dans ce monde et promet à l'âme purifiée par l'expiation un paradis sur la terre. Rien de plus sublime que ces paroles adressées à Dante, lorsque ayant parcouru le cercle entier de la science, il demande au génie qui le guide la mission d'éclairer ses semblables.
« Relève-toi, lui dit Virgile au nom de l'intelligence, relèves-toi ; je n'ai plus rien à t'apprendre.Tu es libre, tu es sage, tu es fort, tu es plus grand que les Césars, plus grand que les pontifes. Je pose sur ton front inspiré la couronne et la mitre. »
C'est là le triomphe le plus éclatant auquel l'esprit humain puisse aspirer sur la terre. Seulement, au-dessus de Virgile il y a Béatrix, au-dessus de la science il y a la foi, au-dessus de l'homme il y a Dieu.
Une fois le rôle de Virgile expliqué, il serait puéril d'insister sur les rapprochements qu'on pourrait établir entre tel chant de la Divine Comédie et tel livre de l'Enéide. Quand nous aurions transcrit fidèlement au bas de ces pages les comparaisons, les idées, les vers entiers qui ont quelques rapports dans les deux poèmes, nous n'en dirions jamais plus qu'un seul tercet de l'Enfer où Dante se trouvant tout-à-coup en présence de son poète favori s'écrie avec la tendresse d'un fils et la fierté d'un conquérant : « Tu es mon maître, tu es mon auteur; j'ai étudié ton livre avec patience, avec amour et je t'ai pris ce beau style qui a fait ma gloire. »
Nous avons posé hardiment à côté du sens littéral toutes les abstractions qu'on pouvait en déduire mais avant de pénétrer plus loin dans la route épineuse des allégories, il s'agit de bien distinguer la réalité des symboles. Que l'allégorie existe, c'est un fait incontestable. Dante l'a dit partout dans ses dédicaces, dans ses autres ouvrages, dans plusieurs endroits du poème. Il espérait le commenter lui-même comme il a commenté ses moindres poésies. Et si la mort lui en eût laissé le temps, il n'eût pas emporté dans la tombe le regret amer de livrer son œuvre à l'esprit de controverse. Son âme qui a eu tous les pressentiments se défiait des interprètes. Il a vu se lever de loin ce noir essaim de corbeaux prêts à fondre sur leur proie et à déchirer son cœur de poète, tout palpitant encore.
Il y a sans doute une allégorie, un sens élevé et profond sous les vers admirables de ce grand drame. Mais il ne faut pas confondre le sens littéral et le sens allégorique, le sujet et les accessoires, la réalité et le mythe. La Genèse et les autres livres bibliques que Dante a imités sous le rapport du style ont aussi subi une fausse interprétation. Des hérétiques anciens et modernes ont essayé de soutenir qu'Adam n'était qu'un symbole et tout le récit de Moïse une vaste allégorie. C'est ainsi que plusieurs interprètes cherchant des mystères où il n'y en avait pas ont négligé l'explication naturelle pour suivre leurs divagations chimériques. Ils n'ont pas compris que sans action il n'y a pas de poème possible.
Si de tout ce voyage douloureux et terrible il ne reste plus qu'une misérable fantasmagorie, si le poète chrétien ne descend pas bien réellement dans les entrailles de la terre, s'il ne s'accroche pas aux rochers du Purgatoire, s'il ne s'élance pas à travers les orbites des cieux emporté par la puissance divine; si tous ces sanglots brisés, toutes ces larmes brûlantes, toutes ces joies sublimes ne sont que d'ingénieuses métaphores, des mots à double entente, d'obscures énigmes jetées en pâture à la curiosité des pédants, tandis que le narrateur dort paisiblement dans son fauteuil et voit passer en songe sa vision symbolique. S'il en est ainsi, si on peut le supposer un instant, tout l'intérêt du drame s'anéantit. L'évidence, cette loi souveraine de l'art est détruite et le poème tombe de toute la hauteur qui sépare l'imagination de la foi, l'hypothèse du dogme, la rêverie de l'extase.
Nous savons qu'il n'est pas donné à l'homme de traverser avant sa mort le royaume éternel et Dante ne l'ignorait pas non plus apparemment lorsqu'il entourait de tant de précautions le récit de son prodigieux voyage, lorsqu'il rappelait au début du poème que dans la tradition païenne, Énée était descendu tout vivant aux enfers; que dans la tradition chrétienne, saint Paul avait été ravi corps et âme au troisième ciel et dans sa pieuse humilité s'avouait indigne d'un miracle semblable. Certes, il n'est pas prouvé que Dieu ait opéré un tel prodige pour le poète Florentin mais c'est là la fiction dramatique qu'il faut accepter ou l'art est impossible.
Comment ! vous voyez l'homme le plus fier de cette fière Italie du Moyen Âge pencher ce front radieux que Raphaël a peint parmi les témoins de la foi, vous le voyez se prosterner et prier pour obtenir une grâce qu'il a payée de tant de larmes, un miracle qu'il a tant espéré, qu'il a tant demandé à Dieu que Dieu lui a accordé peut-être et vous ne savez trouver dans son livre qu'un amalgame étrange et bizarre de superstitions grossières et de brutales vengeances, de subtilités métaphysiques et de je ne sais quelle franc-maçonnerie protestante! 0 interprètes Dante avait raison de vous craindre.
C'était bien la peine, en effet, de creuser la terre sous vos pas et de vous faire descendre d'étage en étage jusqu'au fond de l'abîme, de mesurer avec une si désespérante exactitude la longueur et la largeur de tous les cercles de l'immense spirale, pour qu'un jour il vous plût de décider que tout cela n'était qu'un rêve, quelque chose comme la vision de frère Albéric, ou la légende bouffonne du voyage de saint Brendan !...
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